– S’il naît avant le 22, calcula Martine, ce sera un petit lion.
– Ou une petite lionne, répondit Florence. On dirait que tu veux à tout prix que ce soit un garçon.
– Non, pourquoi? Et Laurent, il voudrait quoi?
– Un fils. Ça lui permettra de jouer au train électrique et plus tard d’avoir un partenaire au tennis.
– J’ai l’intuition que ce sera un garçon, dit Martine.
Elle s’arrêta un instant sur cette idée, qui lui en rappelait une autre, plus floue, plus obscure, pendant que Florence, sa meilleure copine, trempait dans son bain mousseux, foisonnant de grosses bulles aux teintes pastel qui chatouillaient délicieusement les narines. Ses cheveux étaient retenus par un bandeau en stretch rose, son visage disparaissait derrière un masque laiteux et lustré, et ses seins, gonflés, fermes et très ronds, émergeaient à moitié à la surface du bain comme deux bols de porcelaine retournés côte à côte. Martine, assise dans le fauteuil en rotin, avait l’impression d’assister en direct à une publicité pour un produit de beauté.
Florence aimait bien avoir de la compagnie lorsqu’elle prenait un bain. Laurent, son boyfriend depuis la fac, se déplaçait souvent en province (il était l’unique représentant d’une petite maison d’édition parisienne), aussi elle invitait souvent une ou des copines pour une bouffe entre filles. Martine était de celles qui restaient à dormir. Le choix lui était donné entre le canapé, au confort très rudimentaire, et le lit conjugal; elle préférait coucher à la place de Laurent. Florence gigotait beaucoup pendant son sommeil et avait la fâcheuse habitude de s’enrouler dans la couette, mais ces désagréments étaient préférables aux courbatures que promettait le canapé. Martine avait du reste découvert que pour mettre le holà aux gambades nocturnes de Florence, il suffisait de la ceinturer par derrière. Elle songeait que plus tard, cette nuit, elle enlacerait ainsi son gros ventre rebondi et sentirait peut-être le bébé bouger. Florence en était à quatre mois et demi de grossesse.
– Et pour le prénom, c’est toujours Arthur?
– Ou Bastien. On hésite encore. Si c’est une fille, ce sera Anaïs. Ou Noémie.
– Vous le saurez bientôt…
– Peut-être pas. En fait, je préfère ne pas savoir à l’avance…
– Pourquoi ça? s’exclama Martine. Moi, c’est la première chose que je demanderais!
– Il n’y a plus de surprise, aussi! Et puis, ils peuvent se tromper.
– Ah non, plus maintenant! Ils ne se trompent jamais. Je t’assure. Le matériel est très fiable.
Martine s’y connaissait en matériel médical: elle était infirmière dans un service de chirurgie cardiaque de l’Assistance publique Hôpitaux de Paris.
C’était une grande brune au visage agréable, à la silhouette un peu lourde, d’allure nonchalante, volontiers rêveuse, célibataire à trente ans. Non par choix délibéré : elle n’avait tout simplement pas encore rencontré l’homme de sa vie. Elle en avait essayé quelques uns, souvent issus du milieu hospitalier. Ce n’était sans doute pas la bonne filière. Ou bien ils ne voulaient que coucher, ou bien ils recherchaient une bonniche qui leur repasse leur pantalon et leur mitonne de bons petits plats (Martine cuisinait bien), gratis par-dessus le marché. Elle avait entretenu une liaison avec un interne qui venait deux fois par semaine la posséder charnellement et ronfler dans son lit, jusqu’au jour où elle avait appris les fiançailles de ce charmant garçon avec une fille de Bordeaux, détail qu’il avait négligé de lui signaler. Tout le monde dans le service semblait d'ailleurs au courant, sauf elle. Depuis cet épisode, elle avait fait une croix sur cette catégorie socio-professionnelle – des personnages odieux, immatures, radins, d’un égocentrisme monstrueux, et foncièrement misogynes.
Photo d'illustration: figurines Sonny Angel dans une vitrine, par JDLT.